lundi 30 juin 2014

Originales Artistiques : Dans les coulisses de l'Avare

Il est 20h30, un soir de semaine, à Saverne. 

Saverne, pour vous situer le truc, est le genre de ville où "il ne se passe rien", un trou paumé quoi, du moins c'est ce qu'en disent la plupart des Strasbourgeois. Et pourtant, dans l'entrepôt de la maison des entrepreneurs, c'est l'affluence. 

Ca rigole, ça bavarde, ça prend tranquillement place sur des chaises de jardin. Mais pourquoi diable tant de personnes sont-elles volontairement venues dans cet endroit auquel on n'accorde habituellement pas le moindre regard ? Qu'est-ce qui leur prend ? What the fuck ?

Eh bien ! Je vais vous le dire, moi. Ils sont venus voir des mecs se balader avec des rouleaux de papier toilette sur la tête, des nanas porter des robes avec des paniers en papier bulle, deux gonzesses se rouler des pelles, et des murs couverts de draps sur lesquels sont projetés des images d'yeux, d'oreilles, de nez, de bouches et de mains ... 

Bon, vous ne comprenez toujours pas ce qui motive toute cette bande d'illuminés ? Mais gott verdammi, c'est pourtant simple, ils sont venus voir l'Avare ! Oui ! L'Avare de Molière mais revu et corrigé version Christophe et la compagnie Tournesol. 

De gauche à droite : Frosine B, Harpagon, Cléante, Mariane, Frosine A
Crédit photo : Sabine

J'ai rejoins cette troupe en novembre dernier. Pour vous la décrire, c'est un très harmonieux mariage entre des journalistes, une prof, un étudiant en ethnologie, une ex danseuse pro, un futur gendarme, une mère au foyer diplômée d'un master en histoire médiéval (ça c'est moi, hein) ou encore la patronne d'une pâtisserie ... Et l'ambiance des répéts ? On se tient la main en rond en fermant les yeux, on court sans raison, on imagine que nos bras sont devenus fous, on entonne à tue tête des chansons paillardes et on fait des blagues bien salaces (big up Toitoine !)
Et Molière dans tout ça, me direz-vous ? J'y viens, j'y viens ! (T'es pressé, toi ? Ça t'ennuie de me lire ? Si tu as peur de louper le début du prochain match, tu fais pause et tu continues cette passionnante lecture, fichtre ! Pour ne pas dire merde, restons poli ... ) Le slogan de Christophe, notre maître à tous, c'est "Pas de classique !". 
Cléante et La Flèche
Crédit photo : Sabine
Alors voilà, on a décidé que Valère et Elise, plutôt que d'être un couple hétérosexuel, parce que, franchement, c'est mortellement banal, serait un couple de lesbiennes, que Frosine, plutôt que d'être un seul personnage, serait incarné par deux personnes (Frosine, c'est Zabou et moi !) et que le carrosse serait joué par la meilleure des actrices, une 4L rouge (ta bagnole est trop cool, Nanou !).
Quoi, tu ne comprends pas de quoi je parle, tu ne connais pas l'Avare et tu veux que je te raconte l'intrigue ? Non mais j'hallucine ! Tu lis mon blog là, par conséquent tu as internet. Et si tu as internet, c'est que tu as google, et donc wikipédia, alors va lire le résumé de l'Avare, inculte !
Donc, les répéts. Faut pas croire qu'on n'a fait que s'amuser. On joue pour les Originales, certes, mais les Originales Artistiques et qui dit art qui dit travail (oui, bon, je fais court !). Apprendre du Molière, c'est pas très facile. Un exemple parmi mes répliques : "Et quand, ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui nous touche, il importerait peu ensuite qu'il se désabusât en venant à vouloir voir clair aux effets de notre marquise". Certes, c'est moins compliqué qu'une traduction de Virgile ou une transcription des comptes d'un monastère datant du XIII° siècle (Le saviez vous ? Le langage SMS existait déjà au bas Moyen Âge), mais disons que ce n'est pas habituel ...
Entrées, sorties, déplacements, tons, gestes, regards, il a fallu tout travailler. Et, bien évidemment, qui dit Original dit pas de scène frontale. On joue en carré, avec les spectateurs tout autour de nous. Alors, pour ne pas passer trop de temps à montrer nos fesses à une partie du public, il était nécessaire d'être hyper dynamique et de bouger dans tous les sens.
Heureusement pour nous, nous sommes des comédiens incroyablement talentueux, et l'ambiance géniale qui règne dans la troupe, et les conseils avisés que nous délivraient les plus expérimentés, n'ont pas peu contribué à nous permettre d'approcher très rapidement du summum maximal de la plus parfaite des perfections ...
Bon, je l'avoue, les semaines sont passées incroyablement vite et la date de la générale a déboulé dans nos agendas plus rapidement qu'une voiture de F1. En plus du très léger stress que nous ressentions alors, il faut tout de même que je vous précise que, dix jours avant la première, suite à un désistement, Antoine a dû apprendre par cœur le rôle de Cléante, donc le texte, les déplacements, tout le jeu qui gravite autour quoi. Ce jeune blondin s'est révélé être le superman de notre troupe, le thor du théâtre, le hulk des répliques ... Enfin bref, il a assuré.
Et toute la troupe aussi d'ailleurs. En plus de nos nombreuses activités annexes, telles que le travail, les enfants, les loisirs, nous avons passés beaucoup de temps à apprendre, répéter, retravailler tout notre jeu, seul et en groupe, afin d'arriver à un résultat propre, beau, rythmé et, surtout, très drôle !
Cléante, Marianne et Elise
Crédit photo : Sabine
Après tant d'efforts, nous voilà, mardi 24 juin, le soir de la grande première. On lisse une dernière fois le tapis rouge tandis que la limousine de Brad et Angelina arrive. Les robes et diamants scintillent sous les flashs incessants des photographes. Le public se rue pour ... Non, je me suis trompé de festival là, désolée ...
Donc, les Originales Artistiques à Saverne ...
Alors que les premiers spectateurs garent leur twingo et autre voiture de luxe version campagne alsacienne, toute la troupe se retrouve autour du plateau tournant, élément phare de notre scène. On se tient par la main et Christophe nous dit quelques mots de félicitations pour tout ce qui a été fait jusque là et, surtout, d'encouragements pour tout ce qui reste à faire avec en clôture notre "Merde !" adoré repris en écho par chacun de nous.
Ceci fait, on file dans les coulisses. On vérifie une dernière fois son maquillage et son costume tandis que le public entre enfin dans la salle. Cachée derrière de grands panneaux noirs, je tente d'apercevoir, parmi tous ces sourires, quelques visages familiers.
Harpagon 1
Crédit photo : Bernard Dollé
Corinne et Asma accueillent les spectateurs et les recouvrent d'un grand drap blanc. Ce geste, qui s'apparenterait presque à un rituel initiatique, a pour but de transformer le public en des statues de l'Avare qui, pour ne point risquer d'être abîmées, sont dissimulées sous des bandes de tissus. Les spectateurs sont ainsi pleinement présents avec nous dans la pièce de l'Avare, dans la maison d'Harpagon, où ils tiennent leur propre rôle.
Bientôt, la grande lumière décline et le noir qui prend place dans la salle, rendant silencieux le brouhahas impatient du public enjoué, ne s'efface que face à deux petites lueurs tremblotantes, délicatement bleutées. Dans le fond de l'entrepôt, une mezzanine, petite coulisse d'où sont projetées les photos symbolisant les cinq sens. Un escalier, d'où descendent en riant Valère et Elise, Marie et Rachel. Elles s'avancent jusqu'au milieu de la scène en toute légèreté, comme portées par leur rire cristallin, elles s'allongent avec une douceur sucrée de romance sur le plateau rond, et, lovées dans les bras l'une de l'autre, se roulent une grosse pelle.
Quoi ? Sérieux ? Avec la langue et tout ? Tu aimerais bien le savoir, coquin ! Mais voyons, c'est bien connu, un comédien ne révèle jamais ses secrets !
C'est parti pour près de deux heures de spectacle, agrémentées par quelques touches musicales amenées par le jeune et talentueux Romain qui joue de la guitare tout en réglant les lumières (sinon, ce serait trop facile ... )
Depuis les coulisses, je vois les comédiens entrer et sortir de scène, dans un magnifique ballet fait de bousculades, stress, rigolades et pieds écrasés. Ne faisant ma grande entrée aux côtés de ma Zabou adorée qu'assez tardivement, je savoure les premières scènes. J'écoute les répliques que je connais presque par cœur, je devine les gestes, j'imagine les mimiques. J'entends parfois le public rire (encore heureux, c'est une comédie tout de même !) et, depuis les coulisses, je rigole avec eux.
Tous les soirs ne sont pas pareil. Parfois, on est meilleur que d'autre, et on ne manque pas alors de se féliciter quand on se croise dans les coulisses. Parfois, on est moins bon, on se trompe même carrément dans les répliques mais on peut compter sur les autres comédiens qui enchaînent pour nous, évitant ainsi tout blanc ultra gênant, le tout ni vu ni connu ni même soupçonné par le public (Ouf !)
Valère est donc amoureuse d'Elise, la fille d'Harpagon, et Cléante, le frère, est amoureux de Mariane. C'est autour de ces deux couples là que se noue toute l'intrigue semée d'avarice, de coup bas, de manigances et d'argent, encore de l'argent, toujours de l'argent. Amour, gloire et parents, liberté, égalité et écus bien comptés, des thèmes qui traversent aisément les siècles. Si le langage est d'époque, la pièce est toujours d'actualité.
Tout en la mise en scène savamment pensée et orchestrée tend à moderniser cette oeuvre, avec des clins d’œil à l'époque révolue à travers les costumes : perruques en papier toilette, paniers de robes en jeans, fraise en papier bulle. De même, les trois talentueux Harpagon qui se succèdent sur scène, du plus jeune au plus âgé, symbolisent la continuité de l'Avare (et on pourrait même dire de tout Molière) qui vieillit peut-être en apparence mais qui, dans le fond, ne changera jamais vraiment.
Harpagon 3, Valère, le clerc et le commissaire
Crédit photo : Bernard Dollé
A la fin de chaque représentation, le public ne manque pas de nous féliciter pour notre dynamisme. C'est vrai que ça va vite, pas de temps mort, ça court dans tous les sens, pas d'ennui, ça crie puis ça murmure puis ça rigole puis ça conspire, ... Une scène un peu romantique avec de grandes et belles tirades ? Oui, mais on enchaîne avec une scène hyper drôle et mouvementée ! Le comique et le tragique s'imbriquent à grands coups de quiproquos, de mimiques, de jeux sur les mots, de situations humoristiques.
Cléante le précieux, fabuleusement bien interprété par Antoine le déjanté, s'aime plus que tout et, quand il ne passe pas son temps à admirer sa perruque ou son bel habit, il saute et court et s'assoit parmi les spectateurs. La Flèche, le valet malicieux, joué par le génial Duncan, passe son temps à éclater de rire et à tenter de voler ses maîtres, du moins quand il ne se retrouve pas sur leurs épaules.
Harpagon 1, l'excellent Killian dont le talent bluffe tout le monde mais chut il ne faut pas le dire sinon ça l'agace, s'essuie les fesses, Harpagon 2, Fred, qui déclenche des fous rires parmi le publique rien qu'en entrant sur scène, profite des charmes des Frosine, et Harpagon 3, Christophe, dont la force réside surtout dans l'expression du visage, a droit au plus que fameux monologue de l'Avare.
Je n'oublie pas maître Simon devenu sous notre impulsion maître Simonskaya (à ne pas confondre avec Stolichnaya ou Moskovskaya) ni le commissaire transformé en espèce de sorcier vaudou. Mariane est jouée par la très douce Isabelle à la belle chevelure bouclée, Elise par Rachel. Quant à Valère, c'est la magnifique Marie qui joue ce rôle avec force et prestance.
Molière par la compagnie Tournesol, c'est comme un fantastique Tetris qui mélange toutes les formes et toutes les couleurs, l'ancien et le moderne, le classique et l'original, le prude et le sexy, les longues tirades amoureuses et les courtes répliques sarcastiques.
Mais c'est déjà l'heure pour moi d'entrer en scène. Avec mon acolyte, Frosine A, nous nous précipitons devant la porte par laquelle nous devons arriver. On s'étire, on gigote, on plaisante, le tout en écoutant attentivement ce qui se passe sur scène.
"... sur toutes ces actions."
Frosine A et Frosine B
Crédit photo : Bernard Dollé
Fin de la réplique d'Harpagon, c'est à nous ! Tope-là, et on y va, en se jurant de s'amuser à fond.Car tel est notre credo. Bien sûr, nous faisons du théâtre pour plaire aux spectateurs mais aussi pour s'éclater. Après tout, l'amusement de l'un ne découle-t-il pas de celui de l'autre ?
Quand j'entre dans l'entrepôt, notre salle à nous, la première chose que je vois n'est autre que la lumière des projos qui m'éblouis. Puis je discerne, dans l'obscurité tout autour, les visages des spectateurs qui nous regardent.
C'est presque mécaniquement que je me déplace là où je dois aller. Décrire cette sensation là est assez compliqué. Ce n'est pas que je devienne un robot débitant un texte appris par cœur, ce n'est pas que ma tête se vide de tout sentiment, c'est juste que je deviens autre (Je est un autre, isn't it ?). Je suis Frosine B qui rigole avec sa grande sœur Frosine A et qui câline La Flèche. Je suis une jeune demoiselle espiègle qui tente de séduire le vieil Harpagon dans l'espoir de recevoir de l'argent.
Et on ne peut pas dire que nous sommes avares de nos charmes. Fais péter le décolleté, tortille tes fesses, grimpe lui dessus, ... On y va à fond.
J'entends sans vraiment le regarder le public s'esclaffer et, à l'intérieur de moi, c'est l'extase totale. Bien sûr, je joue aussi avec le spectateur. Je lui parle, je me moque de lui, je m'assis même sur ses genoux. Je choisis généralement mes "victimes" d'avance. Depuis les coulisses de préférence ou, sinon, pendant le début de la scène.
Il y a toujours, avant, un millième de seconde où je vais avoir cette horrible impression du noir complet, comme si j'avais tout oublié, mes répliques, mes déplacements, jusqu'au nom de mon personnage. Néanmoins, pendant, tout semble si facile, cela découle naturellement, une réplique entraînant une réponse, un geste une réaction. C'est le fruit de notre travail, cette liberté sur scène. Le texte appris et maîtrisé, on n'a plus qu'à s'amuser.
Le temps passe décidément trop vite, c'est déjà la fin de l'acte. Noir sur la scène et nous sortons en courant avant qu'Asma et Corinne ne viennent occuper l'espace de l'intermède. Retour dans les coulisses : "On a été bien, hein ? Oh ! Oui !" Et surtout : "On s'est bien amusé, c'était trop cool !"
Encore un peu de temps avant notre deuxième entrée en scène, on continue à écouter les autres comédiens, toute l'intrigue qui avance, recule et rebondit.
L'intermède !
Crédit photo : Bernard Dollé
Deuxième round. Cette fois-ci, c'est avec la douce Mariane que nous jouons, bientôt rejointe par Harpagon avec ... des lunettes ! ( Dédicace to the happy few, vous n'avez qu'à venir voir la pièce si vous voulez comprendre !), Cléante (Dont je suis décidément absolument fan du costume), la belle Elise et une adorable Brindavoine. Entrent également en jeu un panier de fruits et une bague au diamant étincelant. Déclaration d'amour, moquerie, incompréhension de la part d'Harpagon et, comme d'habitude, complot divinement mené par les Frosine !
Je suis à fond dedans, je savoure complètement l'instant, plus rien ne compte alors sauf le présent. Le public, plus que de simples paires d'yeux, est également un acteur, un complice. Mon cœur est emballé et, quand la nouvelle sortie de scène pointe le bout de son nez, il devient paisiblement ravi de l'heureuse adrénaline ressentie. Tant d'émotions ! Un pur bonheur !
De retour dans les coulisses, Zabou se tourne vers moi : "Et maintenant ?" Plus besoin de stresser, nous n'entrons plus que pour la dernière scène.
Ah ! Acte V scène 6, le dénouement de tout. Des mariages, une famille réunie, une cassette retrouvée, la happy end de Molière. On se retrouve tous sur le plateau rond.
"Et moi, revoir ma chère cassette !"
Dernière réplique de Christophe-Harpagon et c'est le noir. On tâtonne pour chercher la main de notre voisin. Lumière et on salue.
Tout en me délectant des sourires et applaudissements du public, je ressens toute la force de notre troupe à travers cette ronde que nous formons. Une bien joyeuse compagnie, pardi !
A la fin de la représentation, on retrouve nos proches et on discute autour d'une coupe de champagne (non, je plaisante, une bière ou un coca, mais pour l'Avare, c'est déjà beaucoup !). Les compliments, bien évidemment, fusent : dynamique, drôle, original, rythmé, sexy, ... Et, bien sûr, on félicite tous les comédiens qui sont d'un excellent niveau, et tout particulièrement Killian, Duncan, Marie et Antoine. Ce petit temps d'échange permet d'éviter une coupure trop nette du spectacle à la réalité et les discussions joyeuses et l'ambiance vraiment chaleureuse sont pour nous tous un pur délice.
La meilleure remarque concernant notre représentation restera celle que m'a fait mon conjoint (pour ne pas dire mon roudoudou d'amour ! Non, je rigole, je ne l'ai jamais surnommé comme ça !) :
"On m'a enveloppé dans un drap, y a un mec avec une perruque qui est venu s'asseoir sur mes genoux, puis une nana m'a lancé un string dessus et pour finir t'es venue toi aussi t'asseoir sur moi. Non mais c'est de la folie votre pièce !"

3 dernières représentations, à la maison des entrepreneurs : mardi 1, mercredi 2 et mardi 3 juillet à 20h30

Les Originales artistiques, c'est tout un festival qui investit la ville, ses lieux les plus étonnants, qui méritent d'être vus, et d'être prudemment conservés.
Concerts, spectacles, magnifiques expos en tout genre ...


Par ici, le programme !


Les cinq sens.
Crédit photo : Patrice Bucher

A suivre, sur mon blog, les interviews de deux artistes qui participent aux Originales Artistiques !



lundi 9 juin 2014

Leanka Platt : rencontre électrique avec une tatoueuse indécemment talentueuse

C'est dans son shop, Lucky-Electric Tattoo, que j'ai rencontré la plus que fameuse Leanka.
Des papillons, des roses, des têtes de mort, des serpents et de belles femmes dénudées, bien rangés dans leurs cadres, toisent le visiteur. Me voici donc dans le temple du tatouage strasbourgeois. Lustres et dorures amènent une amusante touche de kitsch dans cet univers ultra coloré, marqué par un rouge affriolant et un rock'n'roll modernisé, totalement désinhibé.
Assise, Leanka dessine des motifs. A grands coups de rouge et de noir, elle esquisse trois fleurs aux contours bien nets et marqués, géométriques.
Plus que son cou et ses bras tatoués, avec ces grandes lignes noires, mais aussi ces étoiles, hirondelles et autres motifs floraux, c'est la douceur tout transparente de ses yeux si clairs qui impressionne. Elle est pleine de mystère, cette tatoueuse dont la réputation a franchi depuis longtemps la frontière rhénane, démesurément originale et assurément charmante.
Dans cet article, en plus d'évoquer son parcours personnel, elle nous livrera sa vision de la place des femmes dans le tatouage ainsi que son regard inquiet porté face à l'évolution de cet art qui est passé de la marginalité presque criminelle à une banalité particulièrement paradoxale.


"J'ai commencé à tatouer en 2004, professionnellement depuis 2006."
L'icône du tatouage "old school revisité" explique : "Je n'ai pas toujours eu pour envie de devenir tatoueuse. J'étais toujours un peu décalée dans mes choix. A l'école, je n'étais pas tout à fait comme les autres, mais l'envie d'être tatoueuse m'est venue plus tard. Peut-être que je ne serais pas toujours tatoueuse, je ne sais pas. En tous cas, j'ai toujours rêvé d'avoir un parcours artistique."
Cette femme captivante, gracieusement originale, véritable oeuvre d'art à elle seule, raconte : "J'ai fait quelques écoles d'art, des écoles privées, quand j'avais 16 ans, j'ai aussi suivi quelques cours du soir, mais c'est tout. Je n'étais pas très studieuse donc je ne restais pas très longtemps en cours. C'est plus l'envie de faire des choses par moi-même qui m'a poussé, qui m'a fait tenir."

Si Leanka a fait ses premiers pas dans l'immense monde des modifications corporelles en tant que perceuse, ce poste n'a pas suffit longtemps à cette demoiselle animée par un tel désir de créer. Son imagination, sa créativité, tout cet univers tellement esthétique et coloré qui gravite dans son âme, cherche par tous les moyens à s'exprimer, à sortir de cette coquille charnelle pour s'épanouir dans l'embellissement du réel. Couture, peinture, Leanka met son génie artistique au service de plusieurs arts avant même de tatouer, mais l'envie de prendre la peau comme support a vite surpassé les quelques réticences qu'elle avait à l'époque :
"Le fait d'être dans le milieu du tatouage, d'être toujours tout autour, bien sûr, ça m'a donné envie. J'étais aussi déjà tatouée moi-même. Mais au début, je pensais que c'était trop dur, que je n'y arriverais pas. Finalement, quand j'ai commencé, ça m'a tout de suite beaucoup plu. Et puis de pouvoir vivre de son art, c'est motivant !"
"Normalement, on fait un apprentissage. Personnellement, j'ai été suivie à l'époque par mon mari, c'est-à-dire Sasha Lehne. J'ai travaillé avec lui quelques années avant de devenir tatoueuse. Ça m'a permis de voir comment il faisait. Je faisais ses mises en place, ses stencils, donc tout ce qui était autour. Et après, au fur et à mesure, j'ai commencé à faire des tatouages sur moi-même, ensuite sur des amis puis sur d'autres personnes. J'ai appris beaucoup sur le tas, par moi-même. Pourquoi ça ne fonctionne pas, pourquoi ci, pourquoi ça ... J'essayais de trouver toute seule et en parlant avec d'autres tatoueurs."

Très vite, cette jolie rousse qui se laissait simplement guider par son instinct, ce formidable besoin de créer, cette envie dévorante de dessiner, arrive à maîtriser cet art ô combien ancestral qu'est le tatouage. Aujourd'hui, à la tête de son propre shop, Leanka est mondialement connue et les clients viennent de loin pour pouvoir laisser leur peau entre ses mains.
Cette sublime artiste est pourtant incroyablement modeste : "Ce n'est pas le but, je n'aime pas trop le succès. Parce que quand tu apparais dans des magazines, etc, tu seras la première qu'on va critiquer, tout le monde scrute ce que tu fais. C'est toi qui deviens l'exemple et je n'ai pas envie d'être l'exemple, je ne trouve pas que je suis la meilleure. Je trouve même que c'est étonnant ! Il y a de gens plus jeunes que moi qui tatouent beaucoup mieux, qui ont plus d'aisance ...
Non, vraiment, je n'aime pas trop cette place là, je préfère faire simplement mon travail, ce que j'aime faire, sans me mettre en avant. Moins on me regarde, mieux c'est. Bien sûr, j'aime ce que je fais et si ensuite ça permet qu'il y ait des gens qui viennent de loin juste parce qu'ils apprécient mon travail, c'est bien. Après tout, c'est ce qui compte, que des personnes aient de la considération pour ma façon de tatouer."

Leanka Platt est surtout appréciée pour son style qu'elle décrit ainsi : "C'est très coloré, mais je mets quand même beaucoup de noir car c'est ça qui va faire ressortir tout le reste. C'est un style qui est, à mon avis, hors du temps. Il vieillit bien. Il y a pas mal de styles en vogue actuellement, par exemple tout ce qui est très graphique, pointillé, abstrait, ou alors avec beaucoup de détails, qui risquent de mal vieillir. Et quelque fois, quand il y a trop d'informations, on a du mal à voir ce qui est représenté. J'aime bien, quand on regarde un tatouage de loin, qu'on voit facilement ce que c'est, que ça flash, que ça ait un impact. J'essaye de faire en sorte que le tatouage ressorte, qu'il se voie et qu'il puisse bien vieillir."
"Je fais des motifs qui sont la plupart du temps assez classiques, il y a beaucoup d'images qui portent bonheur, qui disent quelque chose, sans trop donner dans le narratif pour autant. Une encre, un cœur, ça veut dire beaucoup de choses, sans être trop."
Perfectionniste, cette tatoueuse aime les motifs simples mais colorés, et qui marquent les esprits. Elle évolue dans un univers artistique qui lui est propre, un mariage aussi subtil que détonnant, explosif autant que poétique, entre le monde du cirque, les arts ethniques ou encore toute l'esthétique des années 50. Elle explique : "Mon inspiration vient surtout de l'artisanat, des broderies, de l'art mexicain, chinois, bohémien ... Beaucoup de bois peint. Je regarde beaucoup de bouquins aussi."

Leanka évoque alors les demandes de ses clients : "Il y a beaucoup de demandes pour les hirondelles. On demande beaucoup d'oiseaux, de plumes. Mais aussi des lettrages, surtout les prénoms des enfants, des choses comme ça.
Il y a des vagues en fait. Et ces modes suivent pas mal ce qu'il se passe à la télé, comme les moustaches ou les écritures sur les doigts. Il y a aussi des demandes pour des styles polynésiens parce qu'il y avait des personnes connues par le biais de la télé réalité qui en portaient. Certains veulent aussi des bras complets en noir et gris dans le style un peu rockabilly ... Il y a beaucoup de demandes différentes, ça fonctionne un peu par période. Je trouve qu'en France on a quelques années de retard. Je ne devrais peut-être pas le dire ! Mais il y encore des demandes pour des motifs de style tribal au bas du dos alors que ça se faisait il y a dix ans ... "

Puriste et passionnée, Leanka met un peu de son âme dans chacun de ses tatouages tout en veillant à satisfaire au mieux les demandes des clients.
"Souvent le client vient avec une idée. Par exemple, s'il a envie d'une fleur, il va me montrer quelques exemples En fonction des images qu'il ramène, en fonction de l'emplacement, on fait toujours quelque chose de personnalisé. De toute façon, il y a mille manières de faire une fleur ! J'essaye toujours de pousser le motif un peu plus loin, d'essayer de nouveaux trucs pour que ça change toujours un peu."
"Quand un client me demande quelque chose, je fais de toute façon plusieurs motifs et ensuite on essaye sur l'emplacement. Pour ce qui est de la mise en couleur, ce n'est pas que je le fais au feeling, mais je trouve que telle couleur doit aller là, telle autre ici. En fait c'est le dessin qui me dit où je dois la poser. Avant, quand je faisais un dessin, j'essayais avec toutes les couleurs mais maintenant, à force d'en faire, je sais où tout doit aller, je sais ce qui fonctionne."
"Pour ce qui est des tailles, on me demande un peu de tout. J'ai pas mal

Leanka nous parle alors des tatouages qu'elle refuse de faire : "Je ne m'intéresse pas trop à ce qui est politique ou trop tendancieux comme les croix celtes par exemple. Si le tatouage n'est pas adapté et qu'il risque de mal vieillir, je ne le fais pas non plus. Ça arrive aussi que le client me demande trop de choses, par exemple : "je veux un serpent souriant, qui regarde une pomme, qui fait ci et qui fait ça", non. Je préfère me consacrer à l'esthétique. C'est tout le problème du côté symbolique. Quelque fois les gens viennent en disant "je veux quelque chose qui représente ci ou ça" mais sans me donner aucune image. Je n'arrive pas à cerner ce qu'ils veulent. Ce n'est pas à moi d'interpréter leur pensées, il faut qu'ils arrivent déjà à concrétiser un peu plus leur motif pour que je puisse le faire."
"Et puis j'éviterais peut-être de faire les mains ou le visage ou la nuque si c'est pour un premier tatouage. J'explique au client pourquoi, et il comprend. C'est assez courant actuellement qu'on me demande des petites choses visibles mais je crois que les personnes ne se rendent pas compte que c'est visible. Ça va être par exemple un petit dessin sur le poignet ou sur le doigt ...
Ils ne réalisent pas que ça peut leur porter préjudice par la suite. Ils voient ça comme quelque chose de banal qui ne risque pas de les déranger, mais en vérité, pour un employé de n'importe quel domaine, ça risque de poser problème, surtout pour les personnes qui sont au contact de la clientèle dans leur travail. Il y a quand même encore un mauvais regard de la société porté envers les tatouages visibles. Se faire tatouer un dessin visible, ce n'est pas une provocation mais c'est un choix qui peut être vu comme tel, qui peut choquer."

Alors que l'été pointe le bout de son nez, les tatouages, cachés tout l'hiver, semblent fleurir sur la peau bronzée des badauds égayés, comme si le soleil avait mis un terme à leur hibernation, comme si la chaleur avait fait fondre les barreaux de tissus, les libérant ainsi de leur prison vestimentaire. Il est étonnant d'ailleurs de constater le nombre de personnes tatouées, que ce soit la parfaite mère de famille, le cadre un peu strict, la bomba latina hyper fashion ...
Lucky Electric : la boutique de Leanka
Source : page facebook de Lucky-Electric Tattoo Strasbourg
Oui, étonnant, quand on songe au fait que tatouage a longtemps été avili dans le monde occidental. Il
s'agissait d'un acte ignoble, lié au vice, à la criminalité et à la marginalité. Stigmate des bad boys, il est devenu aujourd'hui un phénomène de mode, un bijou gravé dans la peau, une oeuvre d'art encrée sous l'épiderme. Un tel changement s'explique en partie par l'arrivée des femmes au sein d'une corporation de métier exclusivement masculine, longtemps uniquement constituée de soldats ou de prisonniers.
Leanka explique ainsi : "Je pense que c'est une très bonne chose qu'il y ait plus de femmes qui tatouent actuellement. Effectivement, on offre quelque chose de plus au tatouage en tant que femme. Ce n'est pas forcément de la douceur dans la manière de travailler mais une douceur dans les motifs. Les motifs changent grâce à ce renouveau féminin. Avant, les hommes étaient peut-être un peu plus tournés vers tout ce qui représente la mort, la vengeance, avec les serpents etc. C'était plutôt des motifs de "biker". Avec le mouvement féminin, on a quelque chose de plus ornemental, de plus fleuri, c'est peut-être aussi pour ça qu'il y a maintenant plus de femmes qui se font tatouer. Je ne suis pas féministe dans le sens où je ne me mets pas en concurrence avec les hommes, je ne tatoue pas mieux ni moins bien qu'eux. Disons qu'il y a quelques différences."

Plus que l'évolution des motifs, l'arrivée des femmes dans le milieu très fermé des tatoueurs marque un changement dans l'acte de tatouer en lui-même, dans ce qu'il représente aux yeux de tous : "A l'époque, quand j'ai commencé à tatouer, quand les hommes arrivaient, ils bombaient le torse, ils adoptaient une vraie démarche de macho parce qu'ils allaient chez le tatoueur. Et quand ils comprenaient que c'était moi qui devait les tatouer, ils étaient là : "Ah ! Mais non ! Ce n'est pas possible !" Car d'aller chez le tatoueur, avant, c'était un truc de macho. On buvait nos bières, on allait chez le tatoueur avec nos potes, ça faisait de nous des mecs.
Mais évidemment ça fait longtemps que je n'ai pas eu ce genre de réaction. La clientèle a changé. Si les mecs
Planche de tatouages "flash" par Leanka datant de 2007
Source : page facebook de Lucky-Electric Tattoo
veulent se sentir un peu "macho", ils vont plutôt aller dans un rassemblement de motards pour se faire tatouer par un tatoueur de biker, ils n'iront pas dans une boutique comme la nôtre."
Leanka précise pour autant que d'être une femme ne rime pas forcément avec l'afflux d'une clientèle majoritairement féminine : "Je ne crois pas avoir une clientèle plus féminine que les autres tatoueurs. Il y a un autre tatoueur dans cette boutique et il a autant de clientes que moi. Je pense en fait qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui se font tatouer actuellement... Mais c'est peut-être une particularité de notre boutique, je ne sais pas ..."
Et quand je lui demande si, en tant que femme, elle tatoue avec plus de douceur qu'un homme, elle répond immédiatement : "Non !" en éclatant de rire. "Non, non ... En fait il paraît que je tatoue un petit peu fort mais si on veut que ça reste et que ça aille vite, c'est comme ça. On peut être douce, mais alors on va prendre quatre heures pour un motif qu'on peut parfaitement faire en une heure et demi. De toute façon, si un tatouage fait mal, que ce soit au niveau 6 ou au niveau 7, ça ne change pas grand chose. Pour que ce soit bien fait, et surtout avant que ça ne commence à gonfler, il faut aller vite et donc ça fait un peu mal."

Continuons de parler de l'évolution du tatouage à travers les âges en nous focalisant désormais sur l'aspect plus technique de cet art. En effet, si le tattoo a acquis aujourd'hui ses lettres de noblesse, s'est parce qu'il s'est nettement perfectionné tant du point de vue des motifs qui se sont complexifiés, diversifiés et embellis, que du point de vue de la technicité, de la finesse des lignes, du tracé des ombrages, de la variété des couleurs, l'un expliquant l'autre, bien évidemment.
Leanka note à ce propos : "Je trouve que les machines sont restées très basiques. En revanche les encres ont évolué et c'est positif. A l'époque on utilisait tout et n'importe quoi pour se tatouer. C'était souvent du caoutchouc brûlé avec de l'urine, que ce soit en prison ou dans la rue. Dans les années 90, on avait des encres de mauvaises qualités, qui se délavaient. Maintenant, les encres se sont nettement améliorées, elles sont plus sûres.
Et c'est vrai que c'est pareil pour les aiguilles. Avant, on était obligé de les souder, une aiguille après l'autre, on passait nos soirée à les souder ! Aujourd'hui, les aiguilles sont préfabriquées, on n'a plus à les faire nous-même et elles sont déjà stérilisées. C'est non seulement un gain de temps mais c'est surtout plus sûr pour le client puisqu'on ouvre tout devant lui. Sinon nous, pour tout ce qui est machine et tout ça, on n'aime pas trop les gadgets, on préfère rester dans le traditionnel, le basique."

Religieux, social, mystique, identitaire, le tatouage a rempli, à travers les siècles et les continents, divers rôles. Aujourd'hui, celui-ci est affiché par presque tous comme un choix purement esthétique. Le tatouage est devenu un phénomène de mode mondialisé et à la portée de tous. Les mêmes motifs peuvent se côtoyer indistinctement sur les peaux des marginaux comme des bourgeois, des ouvriers comme des artistes. On en viendrait presque à penser que, désormais, pour être original, il faudrait ne pas être tatoué.
Est-ce vraiment en direction de cet extrême que la société actuelle court ? Est-ce une bonne chose ou non, qu'un tabou se désacralise pour ne plus être qu'un objet fashion parmi d'autre, sans plus aucune spécificité ? Leanka partage pour nous son point de vue à ce sujet :
Source : page facebook de
Lucky-Electric Tattoo
"Comme dans tout courant, toute mode, il y a des choses qui me déplaisent. A commencer par le fait que tout le monde pense pouvoir devenir tatoueur, comme s'il suffisait de dessiner un peu et d'acheter des machines pour ça. C'est bien de se lancer, bien sûr, mais il y a des limites. Tout le monde connaît désormais quelqu'un qui tatoue chez lui, pour le plaisir. Ça devient banal.
En fait le problème c'est que, quand quelque chose est trop fait, ça devient ringard. Et je trouve que, quand on voit actuellement tous les tee-shirts qui ont des motifs de tatouage, les tatouages malabars, les publicités qui se servent de cet univers là... Quelque fois c'est un peu trop, on voit le tatouage partout, lui qui autrefois était caché, marginalisé. On perd tout l'esprit de ce qu'était le tatouage au début ... 
Disons qu'au début, si j'ai aimé le tatouage, c'est parce que je trouvais ça cool, c'était quelque chose qu'on ne voyait pas souvent. C'était un milieu vraiment fermé, réservé à certaines personnes, et c'est ça qui me plaisait tant. On avait peur d'aller dans une boutique de tatouage et ça, maintenant, c'est totalement fini. Ça devient peut-être trop populaire.
Je me demande où tout cela va aller. Si c'est comme ça maintenant, où est-ce qu'on en sera dans quelques années ? Ça me fait un peu peur ... Est-ce qu'on va bientôt avoir des imprimantes qui vont tatouer à notre place ? J'en viens à me demander si je ne devrais pas me mettre à effrayer les clients, mettre des panneaux "interdit aux hipster, interdit à ci, interdit à ça", pour pouvoir préserver le tatouage."

Ce glissement vécu par le tatouage de l'ombre à la lumière, de la marginalité à l'ordinaire, se vit également à travers les motifs ainsi que le raconte la tatoueuse :
"C'est vrai que le symbole infini, l'envolée d'oiseaux, le pissenlit, sont des motifs très jolis qui peuvent également avoir des significations importantes pour les personnes, mais tous les tatoueurs se plaignent actuellement du manque d'originalité des clients.
Pourtant, on commence tous par se faire un premier tatouage plutôt petit, banal, c'est une étape obligée. Alors on explique aux clients qu'il est déjà le dixième cette semaine à vouloir ce dessin. Ce n'est pas qu'on veut lui imposer un autre choix, on lui donne juste notre avis.
En fait quand quelqu'un commence avec un premier tatouage, il le fait parce qu'il veut être original, donc il va chercher un motif qui est selon lui original, tel que le symbole infini accompagné d'un lettrage "love" par exemple. Ce qui fait que, tout en restant original, il reste en fait pareil que les autres. 
Couverture de Tatouage Magazine (Année 2011)
Avec Leanka
Source : page FB de Lucky-Electric Tattoo
Les gens veulent se démarquer, mais ils n'osent pas non plus se montrer trop différent. Par exemple, si nous leur proposons un autre motif un peu plus original, pour changer, par exemple avec une tête de mort, le client refusera catégoriquement, parce que c'est trop pour lui. Quand quelqu'un se fait son premier tatouage, il veut une valeur sûre, être original mais pas trop. C'est comme pour les coupes de cheveux, les habits, on n'ose pas trop se démarquer parce que sinon notre entourage va nous critiquer."

Leanka ajoute toutefois : "On a tous une approche différente du tatouage et le tatoueur se doit de rester humble. Ce n'est pas parce qu'il a un avis différent du client qu'il ne doit pas le respecter. Même si j'ai une autre idée du motif, c'est lui qui va porter le tatouage à vie alors il faut avant tout que ça lui plaise. Si les tatoueurs se plaignent du manque d'originalité des clients, il ne faut pas oublier que ce sont eux qui nous font vivre. On a un boulot vraiment génial, et c'est grâce à eux, on doit être reconnaissant pour cela. Personnellement, j'ai de la chance car on me demande principalement des tatouages qui sont dans mon style. Mais ça arrive que des clients qui veulent juste un lettrage par exemple viennent me voir. J'ai beau les orienter vers d'autres tatoueurs très compétents, ils ont entendu parler de moi alors ils veulent absolument que ce soit moi qui les tatoue. C'est très flatteur."

Dans notre société de consommation, c'est l'éphémère qui règne en maître. Tout est jetable, cassable, remplaçable. Rien ne semble durer et c'est pourquoi je me suis toujours demandé si l'attention portée au tatouage ne découle pas d'une envie de lutter contre cette érosion du temps en portant sur sa peau une marque éternelle, un "toujours" qui signifie véritablement quelque chose. Afin de terminer cette interview, j'interroge donc la tatoueuse à ce sujet :
"Le fait qu'on ne puisse pas enlever le tatouage, ce n'est pas comme un bijou qu'on risquerait de perdre, ce n'est pas quelque chose qu'on peut voler, on est marqué à vie, c'est quelque chose de très poétique. Mais c'est aussi un aspect qui va repousser les gens, ils ont peur de changer, de ne plus aimer les mêmes choses dans cinq ans, ou que leur motif devienne ringard au fil des années. Donc ce côté "pour toujours" n'est pas quelque chose qui va vraiment attirer les gens mais au contraire c'est ce qui les fait hésiter.
Pour ma part, j'aime le fait que le tatouage va rester, j'aime le fait que ce soit l'une des seules choses qu'on ne puisse enlever. Je pense que tous ceux qui ont beaucoup de tatouages partagent mon avis. C'est aussi pour le côté esthétique, parce que les motifs sont beaux, ce sont comme des œuvres qu'on collectionne sur nous. Ça marque aussi des passages, des périodes de nos vies. On ressent le besoin de marquer cette étape pour ne pas l'oublier, pour s'en souvenir.
Si notre maison brûle, tout disparaît avec elle, les papiers, l'ordinateur, les photos, tous nos souvenirs. Si la mémoire flanche, on oublie tout, mais on aura toujours nos tatouages pour nous rappeler ce qu'on a vécu, qui on a été."

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