dimanche 29 janvier 2017

Seku Ouane : graff, hip-hop, art.

A l'occasion de son expo à la Popartiserie, j'ai interviewé le très sympathique et incroyablement talentueux Seku Ouane. Issu du milieu hip-hop, ce graffeur aux milles facettes m'a répondu avec un sourire tout naturel et a partagé avec joie et sincérité sa passion pour l'art. 




Le graffiti comme une performance



"J'ai commencé le graffiti il y a une quinzaine d'années avec Beam. Ce qui m'a plu dans le graff, c'est le côté "performance" qu'a cet art ... Tu es capable de faire du vélo à 4h du matin et marcher sur une voie ferrée en pleine nuit pour pouvoir peindre, c'est vraiment spécial. Ce n'est pas juste peindre sur une toile. Avec le graffiti, la peinture devient vivante, elle s'impose, elle ne s'expose pas."

Seku Ouane est un vrai passionné du graffiti et de tout le milieu hip-hop d'ailleurs.

"Je crois que je suis dans le hip-hop depuis toujours. Je me souviens que le tout premier album que je me suis acheté était d'IAM. Et je lisais beaucoup le magazine Groove ... Oui, aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été dans la culture hip-hop. J'y suis d'abord entré par la musique puis par le graffiti."

Membre du collectif ABC Crew, Seku Ouane ne se limite pas à un art.

"J'ai fait de l'aquagravure, de la vidéo, du graff, du dessin, différents types de peinture, beaucoup d'encre, du travail sur ordinateur, je me suis essayé au beatmaking ..."
"J'aime écrire aussi. Dans un mémoire j'avais travaillé sur le lien entre graffiti et politique, comment le graffiti s'est servi de la politique pour évoluer. J'ai aussi écrit différents textes assez engagés."
"Mais le graff et le dessin sont vraiment les deux disciplines qui me plaisent le plus."


Etudes, rap et graffiti


Il revient sur son parcours d'étudiant :

"J'avais commencé par la fac d'art-plastiques à Strasbourg. Mais le côté rigide de la fac m'a vite déçu.
Disons que je suis plus pratique que théorique, même si j'admets qu'il est impossible de dissocier les deux. Alors qu'aux Beaux-Arts on propose du matériel, on a vraiment les moyens et le temps pour créer, même si il faut reconnaître qu'il y a beaucoup de branlette intellectuelle ..."
"Les Beaux Arts m'ont en tous cas appris à me donner les moyens d'aller vraiment à fond."

Il a fait les Beaux-Arts à Brest, poussé par le besoin de s'éloigner un peu de sa région natale. C'est là qu'il s'est essayé au rap :

"Je tournais avec DPA. Des personnes issues de différentes scènes s'y mélangeaient, il y en avait qui venaient du punk hardcore, d'autres de la dub, ... On traînait aussi avec deux MC qui étaient plus dans le phrasé. A ce moment-là, j'étais très influencé par le rap conscient, engagé. J'ai ensuite tourné avec Vegetal prod, mais la complicité marchait moins, on était trop nombreux dans le collectif. Aujourd'hui, je ne rappe plus que pour le fun, en soirée, avec les potes. Je cherche plus la punchline bien drôle, je ne me prends vraiment plus au sérieux de ce côté-là."

Pour écouter Seku Ouane, c'est par là !




L'évolution du graffiti

Lui faisant remarquer que le graffiti est désormais bien accepté dans la société, lui qui était autrefois si décrié, je lui demande alors son point de vue sur cette évolution :

"Aujourd'hui, le graffiti est clairement dé-diabolisé. Il y a d'ailleurs de plus en plus de graffeurs qui entrent aux Beaux-Arts. Le street-art se révèle être une porte d'entrée pour cette école. Il y a même des mairies qui mettent en place des projets pour les graffeurs. Tout cela permet de faire évoluer le point de vue auparavant très négatif du citoyen lambda, et en ce sens c'est une bonne chose."
"Mais je regrette le côté publicitaire de la chose, l'effet de mode."
"Bien sûr, c'est super quand on est contacté pour un projet, on se sent flatté, on a du temps et des moyens pour que nos créations aboutissent."
"Mais là, certaines branches et acteurs du graffiti et du rap se tournent entièrement vers le capitalisme. On est bien loin du mouvement revendicatif du début ... Disons que le graffiti évolue, il change, comme pour toute chose."

Je le questionne sur l'influence que cette mode pourrait avoir auprès des jeunes : est-ce qu'on voit plus de monde s'essayer au graffiti qu'avant ?

"J'ai l'impression qu'il y a moins de jeunes en fait, mais je peux me tromper, c'est peut-être parce que je suis moins sur le terrain que je ne m'en rends pas compte, je fais moins attention aux blazes dans la rue. Même si c'est vrai que j'en ai vu quelques uns, des nouveaux, comme EOS, TNC, VON, PHNK, ils sont trop nombreux pour les citer. Puis je reste impressionné par la productivité de certains crews comme les MMA ou les 7 qui sont la depuis plus dix ans et qui restent toujours aussi actifs."
"Dans le monde du graff, tu réalises vite qu'il y en a qui le vivent comme un 100m ou comme une course de fond. C'est-à-dire qu'il y en a certains qui vont exploser très vite, mais qui vont disparaître au bout de trois mois, alors que d'autres vont durer et sont toujours présents."

Poussée par la curiosité, je lui demande également son avis sur le graffiti dit vandale, à savoir les tags :

"Selon moi le graff vandale est comme une nécessité, c'est l'essence même de cette culture. En plus, le vandale t'apprend à travailler avec rapidité, à avoir un tracé efficace. En cinq minutes il faut que tu aies sorti quelque chose. Mais il y a aussi pas mal d'excellents graffeurs qui n'ont jamais fait de vandale !"





Des projets plein la tête


Seku Ouane a multiplié les projets artistiques, notamment ceux tournant autour du graffiti.

"Il y a beaucoup de projets qui m'ont vraiment bien plu. Notamment Trait d'Union à la Meinau, il mélangeait sculpture et graffiti, c'est quelque chose qui ne se fait pas beaucoup, et j'ai vraiment apprécié. On a aussi participé à la décoration de l'Elastic Bar, c'était un bon moment."
"J'ai participé à certains festivals très cool aussi. Quand t'es là et que tu croises Akhenaton qui te remercie pour ce que tu as fait, t'es comme un gamin quoi, t'as la larme à l’œil."
"Et je pourrais te citer plein d'autres projets tout aussi sympa : l'expo Et Après, la Jam des Bozars, la pochette de Dah Conectah, Tiseurs, le PAG challenge, ..."

Cette expo marque une étape importante pour Seku Ouane. Non seulement c'est sa première expo en solo mais en plus il compte vraiment, à partir de là, se remettre en question :

"Je dois dire que je suis aujourd'hui dans une phase de remise en question picturale, après quinze années passées à peindre ... J'aimerais peindre moins mais privilégier la qualité. Et je ne veux plus me perdre dans la multiplication de projets."
"J'ai besoin de me recentrer. J'ai besoin de temps, de me remettre à travailler pour moi. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut que je continue à m'éclater dans ce que je fais !"
"Ça fait tellement longtemps que ça fait partie de ma vie, je ne l'imagine tout simplement pas sans. Mon but premier, c'est de m'amuser, de peindre, d'en profiter. L'art c'est comme un mode de vie. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d'autre."






samedi 21 janvier 2017

Le tatoueur Yannonyme en guest chez l'Aiguilleuse Tattoo !

La talentueuse Caca Hontas, L'Aiguilleuse Tattoo, a décidé de faire de 2017 une année pleine de guests pour son shop, l'Atelier Pic-Pic, situé à Strasbourg. 

C'est notamment le cas du tatoueur belge Yannonyme qui posera ses valises en Alsace du 21 au 25 mars. A peine quelques jours pour passer sous ses aiguilles ! Sans oublier la soirée "ça guest" du 25 avec concerts et expos, qui permettra de le rencontrer et de découvrir la richesse détonante de son univers. A cette occasion, il a d'ailleurs accepter de répondre à quelques questions.

Rencontre avec Yannonyme !



Est-ce que tu peux revenir sur tes études, ton parcours ?



Je devais avoir 8-10 ans quand mes parents m'ont inscrit aux Beaux-Arts. Déjà à cette époque je voulais devenir dessinateur, puis à l'adolescence j'ai introduit et participé à un collectif de BD dunkerquois. Cela m'a permis de rencontrer d'autres dessinateurs avec qui j'ai découvert les festivals BD. 
J'ai quitté ma ville natale pour étudier l'illustration à Tournai, c'est là que j'ai terminé mes études secondaires. Après quoi je suis parti sur Bruxelles afin de poursuivre le cursus supérieur. 
Durant cette période j'ai réalisé que le dessin est une discipline qu'il faut quotidiennement travailler ... J'ai aussi compris que le système scolaire est un cadre qui formate les esprits et parasite la création, il cultive la médiocrité sans se préoccuper de la réussite des élèves. La majorité des enseignants et professeurs ne sont que des théoriciens et rarement des praticiens, ils ne transmettent qu'un résidu de savoir classique sans l'ambition d'un discours de contestation
J'ai pensé que c'en était assez alors j'ai cessé de fréquenter les établissements scolaires pour me consacrer au dessin et à la sérigraphie. Huit ans plus tard j'ai démarré le tattoo comme apprenti à la Boucherie Moderne où je suis resté 5-6 ans avant de m'en aller et mener mon propre chemin.

Qu'est-ce qui t'attire dans le tatouage ? Est-ce que c'est pour toi un moyen d'exprimer des émotions ou de permettre à d'autres de les exprimer ? Est-ce que c'est pour le côté esthétique, sublimer des corps ? Ou simplement pour le plaisir de la création ?


Je considère le tattoo comme un savoir-faire, par ailleurs il est une activité alimentaire qui complète le dessin. Il me permet de diffuser, de communiquer ma conception de l'espace empirique qui compose la réalité matérielle. Le tattoo est avant tout un consensus dans le rapport client et exécutant, il est fondamental que la personne intéressée par mes visuels soit en accord avec ma pensée, sans cette donne le partage est caduque. 


Pourrais-tu nous parler un peu de ta démarche artistique ? 

Ma pratique du dessin se dirige vers deux directions : l'une se penche vers le champ abstrait, produire des structures simples ou saturées en opposant des motifs décoratifs à d'autres systèmes de trames plus brutes voire brouillonnes, ici l'objectif est de créer différentes intensités de compositions. 
Quant à la seconde direction, plus figurative, elle vise le détournement de thèmes violents, sexuels, ambigus. Ma démarche est de transcender ces codes en me les appropriant et susciter une réflexion.
Je me sens proche des idées de contradiction, des sujets radicaux, j'aime aborder des concepts extrêmes. 

Comment te vient ton inspiration ?

Mon inspiration se déclenche lors d'une réaction que j'ai quand un événement se manifeste, il peut s'agir de la lecture d'un livre, la vision d'une photo, d'un logo, d'un film, d'une émission, la découverte dans la nature, l’expérience d'une émotion, l'échange d'opinions, une sensation, l'écoute de musique ... Toutes ces sources d'influence génèrent en moi la volonté de m'exprimer. 


Tu sembles passer beaucoup de temps sur tes dessins, est-ce que c'est quelque chose d'important pour toi ? Et comment ça se passe quand un client te contacte, est-ce que tu discutes beaucoup avec lui avant de le tatouer ? 

Je peux passer énormément de temps sur l'exécution d'un dessin. Plus il est compliqué, plus la réalisation est longue. Ce qui m'importe c'est la charge de propos personnels injectés, sans cela mon approche n'aurait aucune impertinence. Quand quelqu'un se déplace pour mes visuels, nous discutons de la direction graphique en fonction de l'emplacement souhaité puis nous faisons une sélection de motifs, ensuite j'adapte mon dessin au format tattoo.

Tu réalises pas mal de motifs en lien avec la sexualité, est-ce que tu peux m'en dire plus à ce sujet ?

 Mon traitement des thématiques liées à la sexualité est une observation totalement subjective. Ce sujet est très mal perçu car intime et privé, il est très difficile de l'évoquer sans fâcher les esprits, sans provoquer une avalanche de commentaires éculés. 
J'ai choisi de l'aborder sous le prisme de l’extrême. Ma position actuelle se base sur le postulat suivant : la sexualité est autant l'extension d'une marque d'affection que l'assouvissement de pulsions pathologiques. Je porte beaucoup de tattoo à caractère sexuel sur moi ... Je me pose une pléthore de questions sur cet acte et plus j'y réponds plus il m interroge.