vendredi 17 janvier 2014

Invitation au voyage

Laurent est affalé sur le canapé, un verre à la main. Des tatouages maori s'étendent sur sa peau comme autant de souvenirs de voyages gravés jusqu'au plus profond de son âme. Thaïlande, Laos, Cambodge, mais aussi Kenya, Tanzanie, Zanzibar ou Zimbabwe, ce jeune quarantenaire a visité de nombreux pays. Dans ses yeux bruns, presque noirs, brillent d'étranges lueurs. Ce sont les étincelles du fantasmagorique exotisme qui l'anime.

Toutes les photos de cet article ont été prises par Laurent au cours de ses voyages.

« J'ai commencé à voyager sur le tard », déclare Laurent. C'est en 2001 que, pour la première fois, il s'est lancé et a osé franchir les frontières du confort rassurant de ce petit cocon qu'est l'Europe de l'ouest. Il avait alors une trentaine d'années.
Quand on lui demande ce qui l'a poussé à quitter sa ville natale, il répond en éclatant de rire : « Je ne supportais plus les cons à Strasbourg ! ».
Les photos illustrant la première partie de cet article ont été prises en Asie
Il est comme ça, Laurent. Un langage cru, un regard franc, une attitude très rock'n'roll. Cet homme, c'est un peu un ovni qui bouleverse les terrifiants carcans de la société, un extra-terrestre venu sur Terre pour profiter au maximum de la luxuriance des cadeaux que peut offrir la vie.
« En fait, je me suis lancé un ultimatum à moi-même. Ça n'a pas été facile ». « J'ai dit à tous mes potes que j'allais partir pendant 8 mois. Du coup, je n'avais pas le choix, je ne pouvais pas me dégonfler ! ». S'il devait de prime abord partir seul, la mère de son fils l'a finalement accompagné. Ensemble, ils ont pris l'avion direction l'Asie.
« Quand on est arrivé à l'aéroport de Bankok, on s'est regardé et on s'est demandé : Et maintenant, on fait quoi ? »
Partir à l'arrache, c'est tout à fait le genre de Laurent. Ce bel homme, d'apparence si sûr de lui, aime se lancer des défis, embrasser l'inconnu, flirter avec la sensuelle excitation du danger. Adrénaline, endorphine, toutes ses hormones habitent son corps, elles sillonnent ses veines. Le voyage est pour lui un moyen de se tester, de voir de quoi il est capable. C'est un besoin. Le besoin de faire battre son cœur, la nécessité de s'étonner, l'envie d'être émerveillé.

C'est cette vague de liberté mêlée des émotions les plus fortes qui lui offre cette formidable passion pour la vie.
« Quand tu veux vraiment connaître un pays, tu regardes où vont les touristes … Et tu vas dans le sens opposé ! » C'est ce que Laurent et son ex-femme ont fait en Asie.
Il explique : « Les vacances, c'est totalement différent des voyages. Quand tu pars en vacances, au bout d'un mois, tu te dis: bon, bah voilà, il va falloir que je rentre. Quand tu pars en voyage, tu te dis : Ouah ! Ça fait un mois que je suis là … Et je vais rester encore sept mois ! Et c'est là que le temps s'arrête ... Tu as vraiment le temps de découvrir un pays ! »
Ce qui compte pour lui, ce n'est pas de visiter les lieux les plus touristiques et de faire le plus de photos possible. Non, ce qui lui importe, à travers son voyage, c'est de partir à la conquête de l'âme des continents. Il veut mettre le pays à nu, comme un homme déshabillerait une femme. Se contenter des fausses images tendues aux touristes, des clichés artificiels, c'est tout simplement hors de question. D'ailleurs, quand il évoque ses voyages, il ne parle pas de dates, pas de lieux, mais plutôt de sentiments. Comme si chacun de ses périples n'était autre qu'une intense émotion prenant possession de ses entrailles.

Il a visité l'Asie du sud est à deux reprises. Il s'est rendu au Laos, en Thaïlande, au Cambodge, en Birmanie et au Vietnam.
Il raconte : « L’Asie, ce n'est que du bonheur. C'est l'ultra-tolérance ! Tant que tu ne parles pas de politique, de religion ou de cul, tout va bien, tout est possible. »
« Là-bas, on ne touche jamais aux touristes. Une femme est plus en sécurité là-bas à 4h du matin que dans une grande ville d'ici. Je me rappelle que, pendant mon deuxième voyage, j'étais parti avec ma nana. Elle est allée s'acheter un truc à manger, seule, en pleine nuit. Elle a croisé un mec en tuk-tuk qui l'a gentiment raccompagné. »
Il explique que, en Asie, tout est zen, et tout prend du temps. « Là-bas, tu dis à un mec : On se retrouve à l'apéro ! Mais tu ne précises pas quel jour ni quelle heure. Si le mec est en retard, ou même s'il ne se pointe pas, tu t'en fous, tu le verras le lendemain. »
« L’Asie, c'est ce dont j'ai toujours eu besoin : de la sérénité. Tu as le temps de te poser, tu te laisses vivre. Tu ne te tortures pas le cerveau avec plein de questions ».
Il ajoute : « Tu sais, en Asie, tout se paye, mais rien n'est cher. J'ai dû dépenser 3500 euros à peine pendant mes huit mois là-bas. Je me rappelle que j'avais payé un euro un mec qui me portait mes bagages. On était tous les deux contents : lui, parce qu'il avait gagné un peu d'argent, et moi, parce que j'étais tranquille ! »
« Je m'en fous des grands hôtels et du luxe ! Nous, on dormait dans des bungalows, sur des hamacs. De toute façon, ta chambre, tu n'y es que pour dormir. Il n'y avait même pas d'eau chaude ! En même temps, il fait 34°C alors tu t'en fous ! Dans ces conditions, il n'y a rien de mieux qu'une bonne douche froide ! » Rigole-t-il.

Il explique : « Les voyages, c'est vraiment difficile à raconter. Tu racontes tes vacances, mais pas un voyage. Il y a beaucoup trop de choses à dire. Je me rappelle qu'à l'époque, je demandais souvent à un pote qui avait beaucoup voyagé de me parler de ses périples, mais il ne disait jamais rien, je ne comprenais pas trop pourquoi. Je pensais qu'il voulait tout garder pour lui. On s'est revu quelques années plus tard. Moi aussi, j'avais voyagé. Là, il m'a dit : « Maintenant, tu sais. Maintenant, on peut parler. ». En fait, il suffisait qu'on dise « Ah, toi aussi, tu y as été ? C'est ouah ! » et voilà, on se comprenait. On savait ce que nos regards voulaient dire ».
Parler des voyages à quelqu'un qui n'est jamais parti de chez lui, c'est comme expliquer la sensation d'un torride baiser à quelqu'un qui n'a jamais connu les plaisirs des caresses. D'ailleurs, quand Laurent fait le récit des phénoménales dédales pris par sa route, on a l'impression d'être face à un homme qui peint le tableau de ses premiers amours.
Koh Tao, l'île de la Tortue (en raison de sa forme), en Thaïlande

L'amoureux de l'ailleurs nous parle alors de l'Afrique. « C'est en 2003 que j'y suis allé. Avec deux blondes ! Ma nana et une copine à elle ! ». Ces trois amis avaient prévu de rejoindre une de leur connaissance en Asie.
Toutes les photos ci-dessous, celle-ci y compris, ont été prises en Afrique
Sa copine ayant raté ses examens, ils ont décidé au dernier moment d'annuler ce voyage pour, finalement, se rendre, une fois les épreuves écrites finies, en Afrique.
En effet, « l'Asie, on y avait déjà été, on connaissait. On avait envie de découvrir autre chose, de vivre d'autres expériences ... »
Pendant plus de trois mois, ils sont partis à la découverte du Kenya, de la Tanzanie, du Zanzibar, du Malawi, du Mozambique et du Zimbabwe.
Laurent se rappelle du cratère du Ngorongoro en Tanzanie et du lac du Malawi, le cinquième plus grand au monde, dont la faune aquatique est époustouflante de richesse. L’Afrique c'est « just fucking awesome ! » dixit notre cher voyageur.
« Ici, tu stresses parce que ta connexion internet est un peu trop longue. Là-bas, ils vivent dans des baraques sans rien dedans, il n'y a que leurs couchettes. Pourtant, quand tu les vois, ils ont toujours des sourires jusque derrière les oreilles ! »
Il avoue : « Avant, je ne savais même pas que le Malawi existait ! C'est un peu le hasard qui nous a poussé à y aller ! On avait rencontré des voyageurs qui se faisaient un tripe de plus d'un an entre l’Égypte et l'Afrique du sud. On les a suivi ! »
Il explique : « Si tu pars du point A, tu n'es jamais sûr d'arriver au point B ! Faut dire qu'il y a plein de lettres entre ! » Telle est la conception du voyage selon Laurent.
Si l'Asie est pour lui le continent de la zénitude, l'Afrique s'est révélée dangereuse. « Il y a beaucoup de pays
instables. Par exemple, le soir, au Malawi, on nous conseillait de ne pas sortir. Franchement, on parle du racisme en France mais, là-bas, tu découvres vraiment ce que c'est, le racisme. Il y en a qui ne se gênent pas pour te traiter de cul blanc ! »
L'Asie a aussi ses parts d'ombre, comme Laurent a pu le découvrir. Sa gourmandise insatiable pour l'inconnu l'a même poussé à risquer sa vie. C'était en Birmanie, pays où il a passé trois semaines :  « C'était il y a une douzaine d'années. Le pays était en proie au régime communiste. A cette époque, tu ne te méfiais de personne, sauf de l’État ! Il y avait une bande territoriale où tu étais en sécurité en tant que touriste. Mais, moi, j'ai voulu sortir des chantiers battus. J'ai payé 500$ des mecs pour qu'ils m'accompagnent avec des kalachnikovs. Franchement, je ne m'étais jamais imaginé que c'était chaud à ce point. Dès que l'armée ou qu'une milice passait, il fallait se cacher dans les fourrées. Si tu faisais le moindre bruit, si tu toussais, t'étais mort. On s'est fait tirer dessus, j'ai entendu les balles siffler au-dessus de ma tête, et le « tac tac » si reconnaissable des kalachs. Du coup, j'ai posé 50$ pour pouvoir en avoir une moi aussi ! »

Au cours de ses périples, Laurent a rencontré pas mal de routards, des globe-trotter venus des Etats-Unis, d'Irlande ou de la Réunion. « L'amitié de voyage, c'est quelque chose de tout à fait différent. C'est vraiment plus profond, plus intense. Même si je ne les ai pas vu depuis 10 ans, je sais que je peux compter sur eux. Ils seront toujours là pour moi, prêts à m'accueillir. »
Cet homme si original, qui a passé presque autant de temps en tant que chef de chantier que chef en cuisine, qui a tenu sa propre boutique de vélos américains et qui a aussi brillé en tant que barman, a une vie tout à fait différente du commun des mortels ou, plutôt, une façon de voir l'existence qui est totalement inhabituelle. Cette fantaisie si sucré, toute sa singularité, il la doit à ses voyages : «  Les voyages, ça m'a apporté tout ce que les autres ne comprendront jamais. Un altruisme, une véritable compréhension, une grande tolérance. Ça m'a apporté une nouvelle ouverture sur le monde, une perception inouïe de la vie. »
« Je me suis parfois senti perdu, mais c'est ça qui est bien. Pendant tes voyages, tu découvres plein de nouvelles choses, tu dois constamment t'adapter. Tu ne sais jamais de quoi sera fait demain. Je me rappelle de cette citation : « Si l'aventure est dangereuse, la routine est mortelle. »


Impossible d'en savoir plus sur ses voyages. Il s'agit d'aventures que les mots ne parviendront jamais à atteindre, de sentiments que les phrases ne pourront jamais capturer. Il suffit de regarder les étincelantes lueurs de ses yeux pour comprendre le bonheur que cet homme a connu au cours de ses voyages. Torturé entre ici et là-bas, ses photographies, qu'il a si gentiment accepté de nous partager, sont le reflet de la liberté qu'il a respiré, de l'exotisme qu'il a bu, de la beauté qu'il a vu. Un mélange détonnant de couleurs, certaines fortes, d'autres douces, des nuances inconnues, des éclats inattendus, et toute la tendresse charnelle du soleil réchauffant une peau nue. En nous parlant de son expérience, Laurent ne peut que nous lancer la plus belle des invitations au voyage ...

Laurent


( De vous à moi, j'ai entendu dire que Laurent s'apprêtait à refaire ses bagages. Destination : Amérique du Sud ! )



Mon enfant, ma soeur,                                                            Extrait de :
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,                                                                          Baudelaire
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés                                                                  L'invitation au voyage
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux                                                                           Spleen et Idéal
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.                                                          Les Fleurs du Mal



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